Habillages et malentendus pédagogiques

Habillages et malentendus pédagogiques

Voulant capter l’attention des élèves, nous nous perdons parfois dans l’habillage des exercices…

Vous connaissez peut-être cet exemple dans laquelle une jeune enseignante perd pied lors d’une séance de phonologie. Elle a construit sa séance sur le son [u] (ou) autour l’exploitation d’un album lu en classe.

Voici la situation :

L’enseignante : « Tous les animaux du village veulent aller chez la poule. Pourquoi ? Pour faire la soupe aux cailloux. Mais le loup a peur qu’il y ait trop de monde. Le loup ne veut pas tout le monde. Il va choisir les animaux qu’il va laisser rentrer chez la poule ”.

Un élève l’interrompt : “ Ca devrait être la poule qui choisirait parce que c’est la maison de la poule ”.

L’enseignante acquiesce : “ Oui mais c’est le loup qui décide aujourd’hui. Vous me proposez des animaux qui viennent frapper chez la poule et moi je fais le loup, et je dis si je le veux ou si je ne le veux pas ”.

Les enfants proposent alors des noms d’animaux que l’enseignante accepte ou rejette en grondant comme si elle était le loup. Après avoir laissé fuser les premières propositions (tigre, éléphant, lézard. biche, cochon, coq, anaconda géant, serpent, rhinocéros, canard, coq, dinosaure. etc.), elle accepte “ les poussins ”. “ Parce que c’est petit ” commente un élève.

L’enseignante précise alors sa consigne : “ On s’arrête. Si vous n’écoutez pas le nom des animaux, vous n’allez pas comprendre comment le loup les choisit. Écoutez bien. Je crois qu’il faut bien écouter ”. Après de nouveaux échecs puis un second succès (“ souris ”), un élève propose “ rat”. Ce phénomène se répète à plusieurs reprises au cours de la phase 1 : après “ grenouille ”, un élève suggère “ crapaud ”, après “ loup ”, un autre propose “ renard ”, etc.

Après 5 minutes de cette recherche au cours de laquelle le loup accepte “ souris, poussin, ours, loup, poule et mouton ” et rejette une trentaine d’autres propositions, l’enseignante répète les noms retenus en accentuant le phonème [u] (c’est-à-dire en le prolongeant et en augmentant son niveau sonore) puis en le faisant accentuer par tous les élèves.

Elle incite l’un d’entre eux qui a découvert la règle de tri à la formuler publiquement. Elle la reformule puis suggère de continuer le jeu “ en ne proposant que des animaux où on entend [u] » ”. Elle invite ensuite un élève à prendre sa place pour valider ou invalider les propositions de ses camarades (il prend le rôle du loup). Une majorité d’élèves respecte la consigne mais six ou sept d’entre eux, les moins performants dans l’apprentissage de la lecture, continuent de proposer des réponses erronées (chien, renard) : après l’acceptation de “ pou ”, par exemple, un élève propose “ puce ”. L’enseignante fait alors de nouveau référence à la règle phonologique pour inciter l’enfant à corriger sa proposition.

Source : BAUTIER E., GOIGOUX R., Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle , Revue Française de Pédagogie, n° 148, 2004, p.89-99

Dans le même esprit, Roland Goigoux déclare :

« On travaille sur la recette de cuisine, les uns croient qu’on fait de la pâtisserie et les autres savent qu’on est en train d’apprendre à lire. Le résultat c’est qu’ils ne centrent pas leur attention sur les mêmes objets (…) et [donc] qu’ils n’apprennent pas la même chose. »

D’où l’importance d’être explicite et de formuler clairement les objectifs d’apprentissage…

Conclusion : se prendre la tête pour trouver un « habillage ludique » est parfois non seulement inutile mais en plus néfaste pour les élèves en difficulté…

 

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