Quelle méthode de lecture choisir en CP ?

Ribambelle, Taoki, Lecture tout terrain, Lire avec Patati et Patata, Chut… je lis, l’offre de manuels de lecture pour les CP est abondante. Je me suis souvent demandée laquelle je choisirais si j’en avais l’occasion.

J’ai profité de ma disponibilité pour faire mes p’tites recherches.

À l’ESPE, on nous disait que chaque méthode avait des défauts et qu’il fallait les identifier pour combler ses lacunes.

J’ai donc d’abord recherché des grilles d’analyses élaborées par des professionnels bien plus aptes que moi à juger une méthode de lecture. Voici celle élaborée par  l’Académie de Strasbourg : http://cpd67.site.ac-strasbourg.fr/ed_prioritaire/wp-content/uploads/2015/03/Analyse-manuels-complet.pdf

et celle réalisée par l’Académie de Grenoble : http://www.ac-grenoble.fr/savoie/pedagogie/docs_pedas/manuels_lecture_2015/index.php?num=1194

Bon, ne nous voilons pas la face, au regard de ces grilles, on perçoit que toutes les méthodes ne se valent pas…  Alors, quel manuel choisir ? Laquelle m’éviterait de rajouter un grand nombre d’activités pour palier aux manques ?

Il doit bien y avoir des recherches, des études à ce sujet ?

Ah naïve que je suis ! Ce n’est pas si simple !

J’imagine que le Ministère de l’Éducation Nationale ne peut pas officiellement  recommander une méthode d’un éditeur privé…

 

Quelle est la meilleure méthode de lecture pour le CP ?

En cherchant une réponse à cette question, j’ai découvert les travaux dirigés par Jérôme Deauvieau, chercheur travaillant à l’ENS et pour le CNRS.

Son rapport intitulé « Lecture au CP : un effet manuel considérable » date de 2013 et fait 42 pages.

Je vous en propose ici les grandes lignes :

Les recherches ont été menées dans 23 écoles du réseau éclair de Paris et de la petite couronne. L’idée était d’étudier l’impact de « l’effet-maître », de « l’effet socioculturelle des parents » et  de « l’effet manuel » sur l’apprentissage de la lecture.

L’équipe de recherche a comparé 4 manuels (les plus utilisés et représentatifs des différentes méthodes de lecture) :

  • Manuel Mixte 1 : « approche très marquée par la méthode globale »
  • Manuel Mixte 2 : « il introduit une dose significative du travail sur le code. »
  • Manuel Syllabique 1 : « démarche phonétique. Sa progression respecte le principe de la syllabique qui s’interdit toute approche globale, toute devinette. »
  • Manuel Syllabique 2 : « ce manuel tranche tant par son ambition lexicale et culturelle (…), que par son rejet de toute « leçon de son » et le côté strict de son organisation graphémique. »

Les conclusions de l’étude :

–          L’enquête met en évidence l’importance de l’effet-manuel : « Les élèves qui ont travaillé avec le manuel Syllabique-2 réalisent un score moyen supérieur de près de 19 points sur 100 à celui qui est obtenu par les enquêtés qui ont utilisé le manuel Mixte-1. » (page 14)

NB : Le résultat monte même à 25.5 points sur 100 si on ne prend en compte que les enseignants satisfaits de leur méthode et qui, par conséquent, n’ont pas proposé d’autres activités en parallèle.

–          L’ impact du manuel est aussi important que celui du niveau de diplôme des parents. L’auteur souligne que si l’école ne peut qu’enregistrer les inégalités socioculturelles des parents, elle peut agir sur le choix du manuel… « Un enseignement efficace ne supprime pas l’impact des inégalités culturelles, mais le réduit sensiblement. » (page 14)

–          « À milieu familial comparable, la contribution de la méthode syllabique à l’apprentissage du lire-écrire au CP apparaît sensiblement supérieure à celle des méthodes mixtes, à hauteur d’environ 15 points sur 100. » (page 19)

–          Le déchiffrage fluide et la compréhension vont de pair.

–          Les habitudes professionnelles peuvent entraver les bienfaits d’une méthode de lecture ou au contraire améliorer les résultats d’une méthode de lecture : certaines classes ont eu des résultats qui ne correspondaient pas à ceux de leurs groupes d’étude.  En fait, quand l’enseignant qui a adopté une méthode syllabique a gardé des habitudes de travail de la méthode globale, il a des résultats en deçà des classes qui ont utilisé une méthode syllabique « pure ». D’autres enseignants ayant choisi une méthode mixte mais qui ont des méthodes de travail proches de la syllabique, ont de meilleures résultats que les classes qui ont utilisé strictement un manuel Mixte1 ou Mixte2. (page 24-28)

 

Mais quel est donc ce manuel Syllabique 2 qui donne de si bons résultats ? Pas sympa de ne pas écrire son nom noir sur blanc dans le rapport ! J’ai poursuivi mon enquête et trouvé la réponse : il s’agit du manuel  Je lis, j’écris. Un apprentissage culturel et moderne de la lecture aux éditions Les lettres bleues.

Lien vers la page Amazon du livre

Je ne connaissais pas du tout ce manuel. Sur les forums, j’ai pu constater que les enseignants en sont très contents. Cependant, d’après la grille d’analyse des manuels de l’Académie de Strasbourg, ce n’est pas la méthode idéale pour des néo-titulaires…

 

Lors de mes recherches, j’ai découvert que cette étude a été vivement critiquée  par Roland Goigoux. Pour résumer, Roland Goigoux reproche à cette étude d’opposer basiquement méthodes mixtes et syllabiques et de mettre toutes les méthodes mixtes dans le même panier.

 

Conclusion

Je garde en tête le manuel édité chez Les lettres Bleues. Peut-être que dans quelles années, je me lancerais (encore faut-il avoir l’opportunité de changer de manuels !). Je conserve tout de même sous la main les grilles d’analyse des différents manuels, prête à cogiter pour améliorer ce qui doit l’être !

Remarques :

Pour info, le manuel syllabique 1 mentionné dans le document serait en fait Léo et Léa.

Si vous voulez identifier votre méthode de lecture, savoir si elle se rapproche du manuel Mixte 1, du manuel Mixte 2, du manuel Syllabique 1 ou du manuel Syllabique 2,  je vous invite à lire une description plus détaillée de chaque type de manuel aux pages 19 et 20 du rapport (lien dans les sources en bas de cet article.).

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image titre enseigner la lecture au CPL’apprentissage de la lecture au CP : mode d’emploi


SOURCES

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9 réflexions sur “Quelle méthode de lecture choisir en CP ?

  1. Pepag dit :

    Je vous remercie pour votre article. C’est un grand dilemme de choisir une nouvelle méthode car je suis convaincue que quand je l’ai utilisé pendant une année. Merci pour cet échange constructif et pertinent.

  2. Pascal D dit :

    Bonjour,

    moi aussi je suis tombé sur votre blog par hasard. Je suis actuellement maître E sur le secteur Nord de l’Alsace et j’enseigne aussi à l’école d’Orthophonie de Strasbourg auprès des 1ères années. Bien entendu, votre question est à la fois simple et complexe… Il est impossible de trouver une méthode parfaite. Et pour un débutant c’est compliqué. Longtemps, j’ai conseillé Patati et Patata à des enseignants démarrant au CP parce que jusqu’à la Toussaint, tout est « pré-mâché ». Mais aujourd’hui, selon moi, les entrées globales sont plutôt inutiles et peuvent provoquer des malentendus chez certains élèves. Je dis cela non seulement parce que c’est une recommandation « officielle », mais surtout parce que mon expérience m’a montré que cela fonctionne mieux sans, auprès d’enfants en difficulté.

    Pour effectuer votre choix, il faudrait peut-être que vous partiez sur des critères précis qui pourraient vous aider :
    – pas d’entrée globale mais tout de même une étude orthographique précoce de mots peu déchiffrables comme « des, est… »
    – Lettres étudiées : d’abord des voyelles, puis des consonnes sonores pour former plus facilement les premières syllabes. (On évite d’étudier concomitamment les consonnes sourdes comme p/t : comme dans Patati et Patata ou lire avec Noisette…)
    – étude rigoureuse, cohérente et bien structurée du code.
    – support tout de même attractif pour les enfants et pas surchargé d’informations.
    – place réelle consacrée à la production d’écrits.

    J’ai jeté un oeil sur Je lis, j’écris… je ne l’ai jamais vue pratiquer, mais cela me semble assez austère, plus dédié à l’alphabétisation des adultes, en tout cas de ce que j’en ai vu.

    En reprenant mon cours, je viens de découvrir J’apprends à lire avec Noisette (sous la direction de Bentolila… Gafi part peut-être enfin aux oubliettes) qui correspond bien à l’air du temps : comme on ne veut plus proposer d’entrée globale tout en gardant quelque chose d’attractif, on propose ici des histoires à l’oral comme « page de gauche » à la place de l’écrit… bref ! J’attends des retours pour voir si cela fonctionne.

    De toutes façons, beaucoup d’enseignants que je connais prennent comme base une méthode donnée et pallient à ses défauts en complétant par une autre. Par exemple, J’ai un collègue qui utilise Léo et Léa depuis plusieurs années, complétant ensuite sa progression avec des albums (comme ceux de Ribambelle). Et cela fonctionne vraiment bien.

    Pour résumer, nous sommes dans une période de changement radical de paradigme où les approches idéographiques sont bannies et les entrées globales fortement déconseillées. Ceci étant, si vous vous retrouvez au début CP avec un ou plusieurs enfants déjà lecteurs, n’utiliser qu’une méthode syllabique posera question. Et il ne faut également pas oublier que Goigoux dans son étude a parlé de la grande importance de l’effet maître.
    Donc, pour ce qui me concerne, Léo et Léa, Taoki, etc… peuvent être des méthodes référentes. Mais en fonction de la classe, il faudra probablement ajuster, proposer d’autres approches…

    Bravo, en tout cas, pour votre investissement.

    Pascal D

  3. Merci pour votre article. Les études confirment vos conclusions. Je porte à votre connaissance un manifeste que nous souhaitons voir signé par le plus grand nombre en raison des enjeux qui sont derrière.

  4. marip dit :

    Utilisatrice de « Je lis J’écris » depuis 4 ans, après avoir utilisé de TRES nombreuses méthodes (30 ans d’enseignement GS-CP ou CP ou CP-CE1 avec toujours beaucoup de liberté dans mes choix pédagogiques), je dois dire que cette méthode, très exigeante au niveau lexical, donne de très bons résultats notamment au niveau des élèves les plus « faibles »… , tant au niveau de la lecture que de la production d’écrits…
    Et je fais découvrir beaucoup d’albums jeunesse en parallèle, d’abord en lecture offerte, puis en « étude » d’albums. C’est tellement riche !

    Merci pour ce blog et vos « cogitations » !

  5. Bonjour,
    Je suis tombée complètement par hasard sur votre blog, au moment où j’écrivais moi-même un article sur le même sujet.
    J’ai enseigné 5 ans au CP avec la méthode « chut je lis », c’est pourquoi mon témoignage s’appuie sur une véritable pratique. Mes maîtres à penser sont Gérard Chauveau, Roland Goigoux, Jocelyne Giasson, et Nicole Van Grunderbeeck. Tous disent la même chose : l’apprentissage de la lecture est un processus complexe qui ne saurait se réduire au seul déchiffrage. A l’heure où la combinatoire fait un retour en force, appuyé par un ministre qui n’a certainement jamais mis les pieds dans un CP, il me paraît primordial de rétablir quelques vérités soigneusement cachées sous le manteau. Parler de méthode mixte n’a pas plus de sens que de parler de lecture globale. Ce sont là des termes qui indiquent bien que ceux qui les utilisent ne savent pas bien de quoi ils parlent.
    Il est tellement facile d’accuser telle ou telle méthode face à des élèves qui ne savent pas bien lire arrivés en 6e. Mais n’y aurait-il pas d’autres causes en amont ? Le manque de formation par exemple ? Le manque de temps dû aux demandes toujours plus pressantes vis-à-vis de l’école ? Des classes surchargées avec des élèves aux comportements de plus en plus inadaptés ? Pendant que les gens se déchirent sur des questions de méthodes, ils ne pensent pas aux vrais problèmes….
    Désolée pour ma virulence, mais je vois dans la tendance actuelle un retour en arrière qui me fait craindre pour l’avenir.
    Je voulais en tout cas vous remercier pour le lien concernant les grilles d’analyse de méthodes de lecture. Ce que j’ai trouvé sur la méthode « Chut je lis » donnera, je l’espère, du poids à mes propos.
    Et bravo pour votre blog.
    Cérianthe

  6. Delphine dit :

    Bonjour,
    Oui l’étude de Jérôme Deauvieau est vraiment claire sur l’efficacité de la méthode syllabique (ou combinatoire puisque dire syllabique fait dresser les poils des « pédagogistes »). Par contre, il me semble que l’étude date de 2013 et non 2003. En tout cas merci d’en parler. Je suis professeur en collège et j’ai fait pas mal de recherches pour comprendre comment les élèves pouvaient arriver en 6e sans savoir ni lire ni écrire ni compter. J’ai alors découvert les innombrables méthodes et livres de primaire (pauvres professeurs des écoles qui doivent choisir à la hâte le bon livre pour leur première rentrée!). Je confirme une corrélation systématique entre l’utilisation de la méthode syllabique en CP et une bonne maîtrise de la langue au collège. Bravo pour votre blog.
    Delphine

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